Craonne

2018

Un monument pour ses morts

Compter ses morts

Le département des Basses-Pyrénées a payé un lourd tribut à la Grande Guerre : sur une population de 425 000 habitants recensés en 1911, 10 000 Basques et Béarnais ne sont jamais revenus du front et près de 50 000 hommes ont été plus ou moins gravement blessés ou malades. Le comptage des morts et disparus est particulièrement difficile, dès les premiers mois du conflit : les armées sont en mouvement, de nombreux hommes sont portés disparus, les autorités sont débordées par l’hécatombe.

Une instruction de 1916 demande à chaque unité de désigner un officier d'état-civil qui rédige soit :

  • un acte de décès avec deux témoins connaissant la victime ;
  • un procès-verbal de décès avec un témoin ;
  • un procès-verbal de constatation de décès s'il n'y a pas de témoin.

Ces données sont transmises au service de renseignements des familles, qui informe les dépôts des régiments. Ces derniers transmettent l’information aux maires, enfin chargés de prévenir les familles. Pour les disparus, des avis de décès ont été rédigés parfois des années après la fin de la guerre, sur décision du tribunal.

Commémorer les disparus

Le cadre national

La loi du 25 octobre 1919 réglemente la « commémoration et la glorification des Morts pour la France au cours de la Grande Guerre », suivie d’une circulaire du 10 mai 1920 relative aux « Monuments commémoratifs aux morts de guerre ». L'État demande à chaque commune de relever les noms des morts, de les inscrire sur un livre d'or. Le but est de compiler des livres d'or départementaux qui seraient réunis au Panthéon, à Paris.

 

 

Ce projet n'aboutit pas, mais permet d'amorcer le mouvement de construction de monuments aux morts. Dans les premières années suivant la fin de la Grande Guerre, plus de 30 000 monuments sont édifiés sur le territoire français, répondant à un énorme élan national et populaire d’hommage aux disparus. Ils sont construits à la demande des communes mais aussi des paroisses, établissements d’enseignement publics et privés, administrations, régiments, associations sportives... grâce à des subventions publiques associées à des finances municipales mais aussi des souscriptions de la population. Rappelant à tous le sacrifice humain consenti pour la patrie et glorifiant les soldats disparus, ce sont aussi des lieux de recueillement pour les familles de nombreux morts sans sépulture.

Ériger un monument pour une région

Le projet d'un monument aux morts à Craonne, là où a combattu la 36e Division d'Infanterie, voit le jour en mai 1926 grâce aux souscriptions publiques, aux subventions versées par les conseils généraux des Landes, des Basses et Hautes-Pyrénées, par des communes (Mont-de-Marsan, Pau, Tarbes, Bayonne, Biarritz, Dax). Les quêtes organisées dans les kermesses du sud-ouest permettent de compléter cet apport financier, l’argent étant rassemblé par l'Association des Anciens Combattants de la 36e Division d'Infanterie. La création de l'édifice fit donc l'objet de l’investissement de toute une région. Un concours fut lancé auprès des anciens combattants artisans, remporté par l'architecte Mathieu Forest et le sculpteur Claude Grange.

La 36e Division d'Infanterie regroupe :
le 12ème Régiment d’Infanterie de Tarbes,
le 14ème Régiment d’Artillerie de Tarbes,
le 34ème Régiment d’Infanterie de Mont-de-Marsan,
le 18ème Régiment d’Infanterie de Pau,
le 218ème Régiment d’Infanterie de Pau,
le 49ème Régiment d’Infanterie de Bayonne,
le 249ème Régiment d’Infanterie de Bayonne.

Le monument de Craonne

Ce monument a été érigé à la mémoire des combattants de la 36ème Division d’Infanterie. Il se situe à proximité de la Ferme d’Hurtebise en direction de Craonnelle, dans le département de l’Aisne.
Inauguré le 30 septembre 1928, ce monument se singularise par l'absence de référence guerrière. L’homme monumental figuré n’est pas un poilu, c’est un paysan du Sud-Ouest en costume traditionnel, coiffé d’un béret et tourné vers la « petite patrie ». Il tourne le dos au champ de bataille, rappelant ainsi que derrière chaque soldat sacrifié, il y avait avant tout un homme.
L´obélisque, entièrement composée en pierre de Souppes (à proximité de Melun) et haut de 14 mètres, est orné de couronnes de lauriers renfermant le nom des départements engagés : Hautes Pyrénées, Landes, Basses-Pyrénées.

Le paysan du monument aux morts de Craonne (Photographie R. Elissondo)

Le monogramme de la 36e Division d’Infanterie occupe les faces latérales.  Un casque militaire, sur la face nord, surmonte la liste des batailles auxquelles a participé la 36e D. I., les noms des généraux ainsi que la date d'inauguration de l'édifice : « A la gloire de la 36e Division d´Inf. / A toutes les batailles de la guerre de 14-18 / Charleroi - Guise / Marne - Craonne / Août 1914 - Avril 1916 / Verdun - Argonne / Somme 1916 / Craonne - Alsace / Champagne - 1917 / Montdidier - Courcelles / Chemin des Dames / Laonnois - 1918 / En mémoire des combats / qu´elle livra sur ce plateau / Craonne - Vauclerc / Hurtebise - (septembre 1914) / Les Creutes (25 janvier 1915) : Craonne - Californie / Mai - juin 1917 / Ce monument / élevé par souscription publique sur / l´initiative des Anciens Combattants / de la 36e Division / Inauguré / le 30 septembre 1928 / sous la présidence du / Général Mittelhauser ». « La 36e DI fut commandée par / Général Jouanic 1914 ; Général Paquette 1916-1917 / Général Bertin 1914 ; Général Mittelhauser 1918 / Général Lestoquois 1915 ».

Comprendre l'histoire d'un lieu

Le E dépôt Bayonne 5 S est le fonds du 49e Régiment d'Infanterie donné aux archives municipales de Bayonne. Les archives anciennes, et jusqu’à 1982, de la ville de Bayonne, sont déposées au Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque.

Les combats

L'ancien village de Craonne a été disputé avec acharnement par les Français et les Allemands en septembre 1914 et entre avril et mai 1917.

Le plan retrace l’un des épisodes de la bataille du Chemin des Dames. Lancée le 16 avril 1917, l'attaque française devait percer le front allemand et apporter la victoire. C'est un échec sanglant : 30 000 tués, 100 000 blessés en 10 jours. La bataille se prolonge pour le contrôle du plateau et des positions clés. La 36° D.I. (49° RI -34° RI -18° RI) s'illustre par la prise du plateau de Californie le 5 mai. Les noms des 34e et 49e RI et les flèches rouges indiquent leur avancée.

Plan de l'attaque (E dépôt Bayonne 5S13)

Mais cette attaque a certainement été bien compliquée : les pentes raides du plateau que les Français ont dû escalader (observez les courbes de niveau resserrées sur la carte IGN) indiquent bien la difficulté de l’avancée des troupes. Puis, une fois les positions prises, les troupes françaises sont décimées par les bombardements allemands et ….français. Pendant plusieurs heures, les canons français tirent trop court.

D'après le journal des opérations du 4 au 7 mai 1917, les pertes du régiment sont les suivantes : 79 morts, 277 blessés, 30 disparus. Le récit de l’abbé Durquet relate avec minutie le détail des opérations du 49e RI sur le plateau de Californie.
Ces violents et longs combats répétés auront complètement bouleversé le paysage environnant. Dans ce no man’s land, le village entier de Craonne aura fini par disparaître. Sur la carte IGN, la mention du lieu-dit « vieux Craonne » en est le seul témoin visible aujourd’hui.

Journal des opérations (E dépôt Bayonne 5 S 10)
L'inauguration du monument, dans le récit de la bataille par l'abbé Durquet (E dépôt Bayonne 5 S 16)

Des combattants : le parcours de l'abbé Durquet

Naissance le 23/06/1888 à La Bastide-Clairence maison Cousturé.
Domicilié à La Bastide-Clairence, maison "Maisonnave".
Décédé à Bayonne le 5 juin 1973, quartier Saint-Léon (Tosse).
Officier de la Légion d'Honneur, décoré de la médaille militaire le 10 septembre 1914 et de la Croix de Guerre. Cité à l'ordre de l'Armée (J.O. du 19 septembre 1916).
Numéro matricule de recrutement : 780 Classe de mobilisation 1908 (consulter l’état signalétique de services).
"Modèle de bravoure d'énergie de stoïcisme. N'a pas hésité le 25 mai à aller reconnaitre lui-même (...) feu d'enfilade et un violent bombardement l'emplacement d'une mitrailleuse ennemie et a organisé la défense qui a permis d'enrayer les contre-attaques ennemies."
Cité à l'ordre du Régiment N°215 du 24 mai 1917.
"Officier d'un rare mérite, modèle de courage. Le 6 mai 1917 malgré un feu violent de mitrailleuse a en payant d'exemple fait atteindre à sa section l'objectif assigné indispensable à occuper pour assurer le succès de la contre-attaque effectuée par le bataillon et arrêter la progression de l'infanterie ennemie".
Blessé le 11 octobre 1917 dans le secteur d'Auberive.
Citation à l'ordre de la 36e Division N°220 du 8 novembre 1918 : "A le 19 octobre 1918 entrainé sa compagnie dans un élan remarquable et a réussi à gagner du terrain malgré un tir de mitrailleuse d'une extrême violence".

L’abbé Durquet ranimant la Flamme du Souvenir (BIB U366/14)

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