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Jusqu’à la fin du XIXe siècle, notre territoire a largement utilisé ses cours d’eau navigables pour le transport de marchandises : on peut citer le fleuve Adour, dans sa partie entre Peyrehorade (Landes) jusqu’à son embouchure à Anglet et également un cours d’eau plus modeste, la Nive, descendant à travers Cambo-les-Bains jusqu’au cœur de Bayonne.
Ces deux voies de navigation sont remarquables par leur organisation et la nature des marchandises transportées. Ainsi par la Nive transitaient les denrées exotiques en provenance des colonies ; au départ de Bayonne, elles remontaient la rivière jusque vers l’intérieur des terres et à destination de l’Espagne toute proche. À l’inverse, les bois à destination de la marine royale empruntaient, sous forme de radeaux, le fougueux gave de la vallée d’Aspe avant de venir rejoindre l’Adour et Bayonne.
La Nive est une rivière longée par un chemin de halage, bien connu des promeneurs et des sportifs en tout genre. Qui sait aujourd’hui que ce cours d’eau fut utilisé pour la navigation depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle ?
En 1838, l’acheminement des marchandises par cette rivière est toujours considéré comme très utile pour le commerce, comme le mentionne ce courrier adressé par l’administration des Ponts et Chaussées à la Chambre de commerce de Bayonne.
Au XVIIIe siècle, le sucre et le cacao provenant des Antilles étaient transportés en bateau jusqu'au port de Bayonne, puis de Bayonne à Ustaritz et Ainhoa en barque, dans des gabarres ou pinasses. Ces denrées étaient alors entreposées, avant d’être acheminées vers l'Espagne, par la montagne, à dos de mulet.
Afin de faciliter le transport de ces marchandises, on se servait de l’influence des marées de l’océan. Les remontées d’eau salée se faisaient sentir sur l’Adour mais également sur la Nive, au-delà même de la commune de Cambo-les-Bains, favorisant la navigation à contre-courant.
Dans les temps où les marées, trop faibles, ne remplissaient pas leur rôle dynamique ou si la rivière se trouvait encombrée de bois ou autres obstacles, il devenait nécessaire que les embarcations soient tirées par des chevaux ou des bœufs depuis le rivage. Pour ce faire, des chemins, dits de halage, étaient aménagés en bordure de cours d’eau.
On fixait un cordage (ou plus tard un câble appelé cirgue) au bateau. Sur la berge, les haleurs ou cirgueurs, alertés par une grosse conque marine, attachaient la corde à l’attelage de bœufs ou de chevaux.
Le halage n’était pas utilisé sur la totalité du parcours ; il permettait seulement l’avancée des barques dans les endroits difficiles. On trouve de la correspondance demandant aux autorités de réparer ces chemins, labourés par les allers-retours d’attelages.
Loin de la côte, au fond de la vallée d’Aspe, dans les mêmes temps, entre le XVIIe et le XIXe siècle, le transport des bois de sapins et de hêtres des forêts d’Issaux et du Pact se fait également par flottaison. Plus de gabarres, plus de pinasses. L’homme a su s’adapter à une nature sauvage et conçu des radeaux pour emmener sa précieuse marchandise jusqu’à la mer. C’est le radelage.
Dans son Mémoire sur les travaux qui ont rapport à l’exploitation de la mâture dans les Pyrennées (1776), Paul-Marie Leroy, ingénieur des Ports et arsenaux de la Marine, renseigne sur l’intérêt économique de cette activité forestière : « Il y a près de 150 ans que sous le ministère du Cardinal de Richelieu, on commença à tirer quelques mâts des Pyrénées (… ) ». « Quant aux forêts de sapins, il y en a de très étendues : celle d’Issaux qu’on vient d’exploiter (…) Quant aux hêtres, il y en a de très beaux ; on en exploite tous les jours pour en faire des avirons »
Le développement de la Marine, et donc la construction de navires, nécessitait des sapins de très bonne facture, très denses et droits : ceux de la forêt d’Issaux sur la commune d’Osse-en-Aspe répondaient à ces critères.
Transportés sur des chariots retenus par quatre à six bœufs qui servaient au freinage de l’attelage, les sapins étaient descendus vers le port de Lées-Athas par le « chemin de mâture ». C’est ici que commence la construction des radeaux.
Leroy raconte : «On met les plus gros mâts dans le milieu et les autres aux côtés. On attache tous les mâts ensemble par le moyen d’un cordage qu’on nomme gargouille… On met à un radeau sept ou huit rames à l’avant et quatre ou cinq à l’arrière… » Autant de rames que d’hommes en somme. Leroy appelle ce radeau « un radeau de grande Mâture ».
La forêt aspoise fournissait également la matière première pour la confection d’avirons (bois de hêtre) et la fabrication de planches (sapins non sélectionnés pour la mâture) : l’exploitation se devait d’être rentable. Ces marchandises, confectionnées sur place dans la scierie de Lées-Athas, constituaient les éléments des radeaux dits « de petite Mâture ».
Les radeaux sont prêts pour leur voyage. Les radeleurs, habitués à la conduite des embarcations, sont recrutés dans le Comminges où cette activité est courante pour le transport des marchandises vers Bordeaux ou la Méditerranée. On ne s’improvise pas radeleur ; le métier est dangereux et la conduite des radeaux demande beaucoup d’adresse et d’expérience : « La rapidité du gave est telle qu’on voit… dans les grandes eaux, faire en quatre-vingt minutes, les cinq lieues que l’on compte du bassin d’Atas à la ville d’Oloron où il y a un mouillage » (Leroy, BIB U 572)
Les accidents ne sont pas rares : malgré les aménagements du Gave, les radeaux peuvent se disloquer et les radeleurs, tombés dans l’eau, être obligés de rassembler les bois pour continuer leur voyage. Des décès sont à déplorer.
Les embarcations sont ainsi emmenées jusqu’à Navarrenx : là, les radeleurs commengeois cèdent leur place à des radeleurs locaux qui ont appris à naviguer sur un Gave plus calme, jusqu’à Peyrehorade : « De Peyrehorade à Bayonne, on amarre une douzaine de radeaux ensemble … : la rivière alors est profonde et tranquille » (Leroy, BIB U 572).
L’exploitation de la forêt d’Issaux continua jusqu’à la fin de l’année 1773. Tout comme celle du Benou. On se tourna alors vers la forêt du Pact, sur les hauteurs d’Etsaut ; c’est un nouveau chemin de la mâture à ouvrir, à la pioche ou à la dynamite, à flanc de montagne.
Le transport fluvial des marchandises était l’un des principaux moyens utilisés jusqu’à la fin du XIXe siècle dans un département où le réseau routier, mal entretenu, ne permettait pas d’assurer la livraison des marchandises dans les délais.
Le développement industriel, l’apparition des chemins de fer et des transports par route, entraîna progressivement la disparition de la navigation fluviale commerciale.