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En 2021 et 2022, les lecteurs s'emparent des "Documents du mois". Douze d'entre eux ont composé le comité de rédaction du site internet des Archives départementales. Ils ont rédigé les rubriques publiées mensuellement pour vous faire partager leurs recherches, leurs découvertes et leurs émotions. Découvrez chaque mois un nouveau rédacteur et son texte.
Josiane Varakine est née Dupouy-Lahitte. Sa famille est issue du Sud-Ouest et en 2008, retraitée, elle entame des recherches généalogiques. Après avoir consulté les archives numérisées, elle le lance en 2015 dans un voyage à Pau pour découvrir les Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques. Du patronyme de son époux, pourtant né à Pau, qu’elle porte alors depuis 45 ans, elle ne sait rien, sinon son origine russe. À sa grande surprise, ses recherches dans les fonds d’archives ne vont pas seulement la renseigner sur sa famille, mais lui offrir un éclairage nouveau sur sa famille par alliance. Elle qui avait tenu à transmettre à ses enfants un prénom russe poursuit depuis ses recherches et œuvre pour leur offrir explications et anecdotes sur leur passé. Ici, elle témoigne d’une histoire familiale qui continue de s’écrire. Elle montre ce que les archives peuvent apporter au parcours de chacun quand les mémoires s’effacent et que les souvenirs se taisent. Par son parcours dans plus de six services d’archives, elle parle aussi de tout ce que les archives ne remplacent pas dans le dialogue familial.
Je m’interroge depuis longtemps sur l’absence d’un récit de vie de la famille Varakine en Russie avant leur émigration. Pour mon mari, Michel Varakine (1946-1988) et ses proches, le silence était la règle imposée implicitement pour tous à la maison.
À l’automne 2015, j’organise un voyage à Pau dans le but de poursuivre des recherches personnelles sur mes aïeux paternels en Béarn Nord (Village de Boueilh -Boueilho-Lasque - Familles Dupouy-Lahitte et Desblancs-Fourrat). J’évoque à l’archiviste présente en salle de lecture mes interrogations sur les origines russes de mon mari. Elle me présente des pistes de recherche. C’est alors que je me suis confrontée à de multiples sources pour retracer ce chemin de l’exil de la famille Varakine. Les Archives départementales du sud-ouest (Pau, Tarbes, Auch), l’OFPRA (Office Français de protection des réfugiés apatrides), les Archives nationales de Pierrefitte m’ont fourni des indices et des informations précieuses.
C’est à Saint-Hilaire-le-Grand, en mai 2016, pour le centenaire de l’arrivée du Corps Expéditionnaire Russe en France, que je rencontre pour la première fois ma cousine par alliance Monique Rodriguez-Varakine, arrière-petite-fille de Vassili Varakine. À partir de cette date, nous allons poursuivre nos recherches ensemble avec passion et enthousiasme.
Vassili Varakine est né le 14 aout 1887 dans le village de Verkhnaya-Akhtouba (Oblast de Volgograd) relié aujourd’hui à la ville de Voljski. Il a 17 ans et demi quand il épouse en 1905 Théodosie Kumskoff.
Ils mènent une vie simple de paysans dans une Russie méridionale encore en paix.
Vassili est mobilisé en août 1914. Il a 27 ans et part à la guerre en laissant sa femme et ses deux fils : Ivan 8 ans et Nicolas 6 ans. Il est incorporé comme caporal dans le 8° Régiment des Grenadiers de Moscou. Il se bat contre l’Autriche-Hongrie sur le front Sud-ouest russe. Blessé en octobre 1914, il est soigné à l’Hôpital d’Orel. Il repart au combat et est capturé par les Allemands. Il s’est probablement évadé puisqu’en 1916-1917, Vassili intègre le Corps Expéditionnaire, mais à ce jour, nous ignorons dans quelle brigade. Des recherches effectuées par un historien aux Archives de Moscou n’ont pas permis de le déterminer. Cet historien pense qu’il pourrait être parti avec des unités de réserve de la 1° Brigade par le port d’Arkhangelsk, jusqu’à Brest. Il a combattu en France avec ses compatriotes et malheureusement il est à nouveau fait prisonnier par les Allemands.
Vassili est libéré le 22 novembre 1918. Il a 31 ans.
Dans son dossier d’étranger aux archives de Pau, il est écrit :
« Soldat Russe, prisonnier des Allemands, libéré par les Français à VERDUN, Base Russe, commandement Français, Compagnie TR [travailleurs russes] de la 18° région »
Vassili est envoyé avec d’autres prisonniers russes à Bordeaux, La Rochelle ou Saintes dans l’attente de leur future affectation. Il y restera une année avant d’être envoyé le 23 septembre 1919 à Beaumarchés, petit village du Gers, pour travailler comme ouvrier agricole partageant son sort avec un autre ancien prisonnier russe évadé d’un camp Allemand aux abords de Verdun. Il s’agit de Michel Kononoff natif du village de Lunino (district de Koursk). Une grande amitié va lier ces deux hommes qui seront démobilisés le 18 novembre 1918. Ils apparaissent sur une liste nominative retrouvée au SHD à Vincennes (Service Historique de la Défense).
L’employeur de Vassili et de Michel est un notable du Gers. Il s’agit de Jacques Philippe Alexandre d’Etchandy (1849-1935). Cet ancien général à la retraite possède un grand domaine. Le travail dans les vignes et les champs, l’entretien du cheptel, les deux amis connaissent ce dur labeur. Cette terre de Gascogne au doux climat va contribuer à leur adaptation. Michel Kononoff y fera souche en épousant une jeune fille du village en 1925 dont il aura deux filles. Il sera naturalisé français en 1934.
Cet employeur appréciait beaucoup Vassili et a pu s’émouvoir de sa situation personnelle. Il a dû activer ses relations et être à l’origine d’un regroupement familial inattendu et exceptionnel.
La Croix Rouge Internationale de Genève supervisera le voyage de la Russie vers la France. Pour partir, Théodosie a obtenu un passeport soviétique établi à Moscou le 6 septembre 1923. C’est le seul document familial original conservé dans la famille.
Pour Théodosie et ses fils, cette migration dans l’urgence n’était pas un projet de vie mais une rupture obligée par les évènements. C’est d’abord un voyage long, épuisant en train depuis Tzaritsine (qui deviendra Stalingrad) jusqu’à Riga. Dans ce port, ils prendront le bateau et débarqueront à Calais. Ils viennent de vivre une expérience inédite pour eux. Quels étaient leurs sentiments ? Sûrement un mélange d’inquiétude, de joie et de tristesse.
Ainsi, le 23 septembre 1923, la famille est enfin réunie sur la commune de Beaumarchés. Théodosie a 37 ans, ses fils Ivan 17 ans et Nicolas 15 ans. Michel Kononoff est présent et assiste à une scène émouvante qu’il n’oubliera jamais et qu’il transmettra à ses filles.
Théodosie fait face à Vassili et lui dit « Bonjour Monsieur, Je ne vous connais pas !!! » Il a revêtu pour cette circonstance un costume et ce bel homme à la moustache soignée lui a fait grande impression. Cette anecdote m’a été relatée voici quelques semaines par la fille de Michel Kononoff qui a aujourd’hui 88 ans. Cette femme ne connaissait pas l’existence du dossier de naturalisation de son père que je viens de lui transmettre.
En 1927, on retrouve la famille installée à Pau. Vassili et son fils Ivan sont devenus menuisiers charpentiers, son fils Nicolas est chauffeur. Les jeunes hommes peuvent enfin vivre leur vie d’adulte en exil. L’assimilation, pour tous les deux, a été facilitée par leur mariage avec des françaises la même année 1930. Ils fréquentent d’autres slaves quand ils se rendent à l’église orthodoxe de Pau. C’est l’occasion pour eux de pouvoir échanger dans leur langue et d’y nouer des relations.
Vassili décède en 1932 à l’âge de 45 ans. Les deux périodes de captivité, les privations, l’incertitude du devenir de sa famille restée en Russie durant tout le conflit ont développé chez lui une altération physique et un état mélancolique.
Théodosie va vivre alternativement chez ses fils. Elle est veuve depuis 4 ans quand elle épouse à l’église russe de Pau en 1936 un compatriote Russe, Nicolas Nikichine (1895-1960) ancien cosaque du Don natif de Mitiakinskaia. Ils vivent ensemble à Lafitole, Larreule, Maubouguet et Aureilhan. Théodosie décède à Pau en 1969 à l’âge de 83 ans.
Nicolas Varakine aura deux enfants et obtiendra la naturalisation française en 1940. Son frère Ivan aura 5 enfants et deviendra français en 1946. L’un de ses fils deviendra mon mari.
Ma cousine Monique, petite fille de Nicolas Varakine, arrière-petite-fille de Vassili se souvient :
« Un jour, je suis entrée dans la chambre de mon arrière-grand-mère Théodosie et j’ai remarqué sur une étagère la photo en pied d’un bel homme qui portait un magnifique uniforme blanc barré d’un large ruban bleu avec des étoiles argentées. Théodosie dans un français approximatif mais chargé de sentiment d’admiration me présente Le Tsar Nicolas II. Dans un autre cadre je fais connaissance avec les sœurs et nièces de Théodosie restées en Russie.
Vers 1963, je suis présente quand un colis de Russie arrive. Le carton est recouvert de tampons officiels douaniers. Une sœur de Théodosie lui envoie une pièce de tissu, des bonbons en chocolat pour les enfants et une lettre en russe.
À l’occasion des fêtes de la Pâques Russe, mon arrière-Grand-Mère nous offrait des œufs durs colorés par leur cuisson avec de la pelure d’oignon.
Un jour, Théodosie a voulu coiffer mes cheveux en une belle tresse au bas de ma nuque comme dans la tradition russe.
Un soir de Noel en 1967, alors âgée de 14 ans, j’ai osé défier le silence. Je venais de recevoir en cadeau un globe terrestre. Je m’adresse à Nicolas et lui dis « Grand Père montre-moi d’où tu viens, » Il a pris le globe dans ses mains et me montre un petit point indiquant le village à 30 Km de VOLGOGRAD « J’habitais dans une ferme, là-bas le sol est plat et le regard se porte loin à l’horizon. C’est dans la Volga que j’ai appris à nager. Je ne voulais pas quitter mon pays et notre mère a vendu tout ce qu’elle possédait. Au cours de ce long voyage sans retour, nous arrivons en gare de Moscou ou règne une agitation inquiétante. J’ai entendu des coups de canon, c’était encore la guerre ! »
Monique a gravé dans sa mémoire cet instant d’échange presque magique qui n’aura pas de suite. Nicolas était heureux de partager ses souvenirs d’enfance en Russie avec cette petite fille dont la curiosité venait de s’éveiller.
Vassili Varakine est ainsi le premier porteur de ce patronyme en France. Nous lui devons tous d’être cette famille aux multiples facettes. Cette mémoire familiale est un précieux héritage, et n’est pas définie pour toujours. Elle s’enrichira au fil des générations suivantes.
Il existe de nombreux guides et ouvrages pour se repérer dans les archives et débuter sa généalogie. Comme le souligne J. Varakine, mener son enquête et collecter un maximum d’informations, même si elles seront parfois contredites ensuite, représentent une étape essentielle.
Que l’un de ses ascendants soit étranger représente à la fois un avantage et un inconvénient. Leur présence a fait l’objet de nombreuses vérifications par l’administration française, ce qui laisse des traces dans les archives. Ils doivent notamment signaler leur présence dans les communes où ils résident plus de 15 jours à partir de 1888. Dans le contexte de la Première guerre mondiale, la méfiance envers les étrangers, suspectés d’espionnage, croît. Le décret du 2 avril 1917 impose la carte d’identité des étrangers. Sa durée est limitée à partir de 1924 et des enquêtes menées sur la moralité des demandeurs. Ce sont les documents liés à cette législation que présente ce document du mois. Ils sont conservés sur le site de Pau sous les cotes 4 M 270-1034 (consulter l’instrument de recherche sur earchives).
Sur la question, consultez le guide réalisé par les Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence (site consulté le 21/05/2024).
En revanche, l’accès aux archives dans les autres pays peut être particulièrement compliqué. Tous les pays n’ont pas pour règle l’accès libre et gratuit aux archives comme c’est le cas de la France depuis la Révolution française.
Le témoignage qui précède le montre : faire sa généalogie reste une histoire de patience.