Enfants cachés

2021

En Pays basque

En 2021, les lecteurs s'emparent des "Documents du mois".  Douze d'entre eux ont composé le comité de rédaction du site internet des Archives départementales. Ils ont rédigé les rubriques publiées mensuellement pour vous faire partager leurs recherches, leurs découvertes et leurs émotions. Découvrez chaque mois un nouveau rédacteur et son texte.

Gérard Eder est un journaliste à la retraite. Il entend parler d’enfants juifs présents sous l’Occupation dans la région où il vit, le Pays basque, et décide, par curiosité, de se pencher sur cette histoire. C’était il y a trois ans. Depuis, il a recueilli des témoignages, retrouvé des enfants et des familles, consulté plus de 1 400 documents aux seules Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques et co-animé des soirées cinéma sur ce thème. Il travaille maintenant à l’édition d’un livre résumant ses recherches, ouvrage dont la publication, prévue initialement en 2021, a été repoussée au printemps 2022 pour cause de pandémie.

Enfants juifs en Pays basque sous l'Occupation

Au printemps 2018, j’ai débuté des recherches sur les enfants juifs demeurés en Pays basque sous l’Occupation, suite à la découverte que deux fillettes juives avaient été hébergées pendant cette période dans des familles d’Ahaxe, le village de Basse Navarre, près de Saint-Jean-Pied-de-Port, où je vis.

Ces enfants peuvent être classés dans plusieurs catégories distinctes.         

  • Ceux cachés dans des établissements d’hébergements collectifs comme le préventorium d’Arbonne (77 enfants), près de Bayonne, le collège Saint-François (12 enfants) de Mauléon, et l’orphelinat Sainte-Marie (2 enfants) de Jatxou, près d’Ustaritz,
  • Ceux cachés dans des familles à Bayonne (1), Saint-Pée-sur-Nivelle (4), Saint-Martin- d’Arberoue (1), Ahaxe (2) et Ostabat (4).
  • Ceux assignés à résidence avec leurs parents sur décision vichyste dans 3 villages de Soule (10).
  • Ceux restés avec leurs familles soit en Pays basque, soit en Limousin (8).
  • Ceux arrêtés au Pays Basque avec leurs familles puis déportés (13).

On arrive ainsi à un total de 134 enfants.

Carte postale du préventorium (8 Fi)

Le préventorium d'Arbonne

Je me suis en priorité intéressé au préventorium d’Arbonne pour deux raisons :

  • c’est là que fut cachée plus de la moitié (58 %) des enfants auxquels je m’intéressais,
  • c’est le seul établissement à avoir constitué des dossiers sur les petits pensionnaires (ni le collège Saint-François, ni l’orphelinat de Jatxou n’ont conservé de traces écrites).

Ma recherche a donc débuté par l’étude de 57 dossiers qui avaient été « sortis » du préventorium par une ancienne secrétaire. Ces dossiers avaient servi de base à la confection, au début des années 2000, d’une liste de 40 noms de fillettes juives établie par l’institut Yad Vashem de Jérusalem pour faire reconnaître « Juste parmi les Nations » l’ancienne directrice de l’établissement, Marguerite Schwab. Après étude, et en accord avec l’intéressée, j’ai ensuite remis ces dossiers au Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque, le 29 août 2019.

Enquête dans les fonds d'archives

Puis j’ai étudié 1 414 dossiers déposés aux Archives concernant tous les enfants accueillis au préventorium entre septembre 1939 et juin 1945 (fonds conservé sous la cote 156 J).

Délais de communication

Les dossiers de patient sont des dossiers comprenant des informations de santé relatives à des personnes mineures. Ils ne sont donc pas immédiatement communicables. Lors du don de ce fonds d'archives, un délai de 120 ans après la naissance du patient a été fixé (ou 25 ans après son décès). Pour effectuer une recherche dans les dossiers non communicables, comme dans le cas présent, il est nécessaire d'effectuer une demande de dérogation.

Il est possible que certains des dossiers originaux aient été détruits accidentellement ou sciemment pour des raisons de sécurité. Finalement j’ai abouti à la découverte de 37 autres enfants juifs cachés dans l’établissement pendant cette période.

Extrait d'un dossier du préventorium (156 J 99)

Méthodologie de recherche

Comment, lors de la consultation des archives, repérer des personnes cachées ?

Si certains de ces enfants étaient véritablement cachés (surtout à partir de 1942) d’autres y étaient plutôt réfugiés. La nuance est de taille. Au début de la guerre des familles juives envoient leurs enfants à Arbonne - directement ou par le biais d’organismes divers - pour les tenir loin d’une zone (la Région parisienne) considérée comme à risques. Dans un premier temps ils arrivent là sous leur propre identité et même parfois le dossier précise la religion à pratiquer (israëlite). Plus tard - avec l’intensification des persécutions - cela disparait et on a parfois recours à des faux noms et on déclare systématiquement les enfants catholiques ou protestants.
Pour déterminer si un enfant était juif ou non (ce qui n’est pas toujours évident), je me suis basée sur plusieurs critères.

  • D’abord sur les 77 enfants juifs du préventorium, 40 avaient déjà été repérés en 2000 lors de l’enquête lancée par les équipes de Yad Vashem de Jérusalem, l’institut pour la mémoire de la Shoah, dans le but de faire reconnaitre la directrice du préventorium, Marguerite Schwab, « Juste par les Nations ».
  • Pour les 37 enfants restant j’ai utilisé d’autres critères. En page 4 de chaque dossier figure une mention indiquant la religion que doit suivre l’enfant. Lorsque que le mot « israélite » est coché cela ne laisse guère planer de doute sur les liens de l’enfant avec le judaïsme.
  • Autre critère : jusqu’au printemps 1942 (date de dissolution des associations juives), certains enfants sont envoyés là par des organismes très liés à la communauté juive comme « L’Œuvre de secours aux enfants » (OSE) ou le « Comité Amelot » (Paris XI ème) (même si les religions « catholique » ou « protestante » sont parfois indiquées dans leurs dossiers). Mais, dans la plupart des cas, aucune religion n’est cochée.
  • Enfin chaque fois, que cela a été possible, j’ai recoupé les noms et les adresses avec ceux que Serge Klarsfeld a publiés dans son « Mémorial » des 80 000 Juifs déportés de France, dans son ouvrage sur les 11 400 enfants juifs déportés et ceux répertoriés dans les fichiers de l’OSE (qui avaient été conservés en Suisse pendant la guerre).
Extrait du règlement du préventorium, figurant sur le dossier d'une patiente, avec mention du culte ( 156 J 99)

L’écrasante majorité de ces 77 enfants (identifiés par l'institut Yad Vashem et par mes recherches) étaient des fillettes âgées d’une dizaine d’années et venant de milieux modestes de la région parisienne, souvent de familles d’immigration récente (Pologne, Pays Baltes, Russie, Empire ottoman).

Extrait du dossier d'une patiente mentionnant ses origines (156 J 99)

Croiser les sources et reconstituer des parcours individuels

Carte postale du préventorium (8 Fi)

J’ai ensuite découvert, en croisant les données obtenues avec celles que Serge Klarsfeld indique dans son livre sur « Les 11 400 enfants juifs déportés de France », que huit fillettes avaient été déportées vers Auschwitz après leur départ d’Arbonne et leur retour à Paris.
Ces dossiers ont donc été une véritable mine de renseignements quant à l’identité de ces enfants, leur origine géographique, leur milieu social, leur situation familiale etc. Ils avaient été envoyés à Arbonne par des associations juives d’aide à l’enfance, les services sociaux de deux hôpitaux parisiens (Necker Enfants-Malades et Trousseau), des dispensaires scolaires et communaux, des services sociaux d’entreprises et d’organismes professionnels, des médecins libéraux, des assistantes sociales ou directement par les familles.

À noter enfin que le personnel d’encadrement du préventorium était étroitement lié aux mouvements de la Résistance, ce qui explique sans doute leur participation active à ces sauvetages.

Histoires secrètes et archives

Les archives sont le fruit de l’activité d’une administration, d’un organisme ou d’un individu. Par définition, ce qui est hors du domaine de connaissance de ceux-ci, comme ce dont ils ne veulent pas laissé de trace ou ce qui relève d’activités illicites est peu ou non documenté.  La démarche de Gérard Eder éclaire sur les difficultés d’effectuer des recherches sur ce qui a été caché. Résistance, protection des Juifs, mais aussi marché noir, les périodes de conflit comme la Seconde guerre mondiale regorgent de sujets de recherche complexes.
Pourtant, les traces peuvent exister. Il est indispensable de croiser les informations et de consulter les documents avec prudence et patience, en prenant garde à qui les rédige, à qui ils sont destinés, à leur caractère plus ou moins officiel ou encore à leurs dates et contextes.

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