Fonds marins

2021

Reconstituer l'histoire du littoral

En 2021-2022, les lecteurs s'emparent des "Documents du mois".  Douze d'entre eux ont composé le comité de rédaction du site internet des Archives départementales. Ils ont rédigé les rubriques publiées mensuellement pour vous faire partager leurs recherches, leurs découvertes et leurs émotions. Découvrez chaque mois un nouveau rédacteur et son texte.

Le service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom), héritier du premier service hydrographique officiel au monde (1720), est un établissement public administratif (EPA), sous tutelle du ministère des Armées. Il est l'opérateur public pour l'information géographique maritime et littorale de référence.
Il a pour mission de connaître et décrire l’environnement physique marin dans ses relations avec l’atmosphère, avec les fonds marins et les zones littorales, d’en prévoir l’évolution et d’assurer la diffusion des informations correspondantes.
L’exercice de cette mission se traduit par trois activités primordiales : l’hydrographie nationale,le soutien de la défense, le soutien aux politiques publiques de la mer et du littoral.

Organisme référent pour l’observation du niveau marin (REFMAR), le Shom possède une expérience et un patrimoine dans le domaine de la marégraphie remontant à plusieurs siècles. Témoins uniques des évolutions passées du niveau de la mer, les enregistrements marégraphiques historiques intéressent de nombreux acteurs scientifiques et institutionnels, qu’il s’agisse de mettre en place des modèles d’évolution à long terme ou de connaitre les événements passés afin d’améliorer la prévention des risques littoraux (https://www.shom.fr, site consulté le 21/05/2024).

Comprendre l'érosion : le projet EZPONDA

Le projet EZPONDA réunit des scientifiques pour une connaissance fine du mécanisme d’érosion sur la côte Basque et l’émergence de solutions spécifiques. Ce projet de recherche est financé par le Fond Européen de Développement Régional (FEDER) et piloté par la Communauté d’Agglomération Pays Basque avec le soutien du GIS Littoral Basque. Sept partenaires participent au projet. EZPONDA s’intéresse aux paramètres mécaniques et chimiques qui altèrent, ou ont altéré, les falaises rocheuses et les ouvrages de défense de la côte basque. De plus, l’objectif de ce projet est de « disposer de nouveaux outils scientifiques mesurant finement les processus d’altération des falaises rocheuses, le recul du trait de côte sur des zones à enjeux spécifiques et les impacts des niveaux extrêmes sur la résistance des ouvrages de défense côtière (digues, enrochements, perrés, …) afin d’améliorer les actions à la gestion du recul de trait de côte et à l’entretien des ouvrages de défense contre la mer » (Communauté d’Agglomération du Pays Basque, 2019).

La méthode : reconstruction d’une série cohérente de mesures de hauteur de la mer observées à Socoa

L’action menée par le Shom dans le cadre du projet EZPONDA porte sur la caractérisation de l’évolution des niveaux d’eau à la côte depuis le 19ème siècle et se fait à travers la reconstruction de la série marégraphique historique du marégraphe de Socoa afin d’obtenir une série temporelle de mesures de hauteur d’eau historique fiable. L’utilisation de données inédites permet d’identifier des événements extrêmes passés et également d’examiner l’évolution du niveau marin sur plus de 2 siècles.
La reconstruction d’une série marégraphique historique se décompose en quatre étapes :

 

  1. la recherche des mesures ou tout document en lien avec des mesures de hauteurs d’eau,
  2. la dématérialisation de ces dernières (scan ou photographie),
  3. l’extraction des données de hauteurs d’eau en format numérique,
  4. la validation des données nouvellement numérisées.

Constituer un fonds documentaire : apport des Archives

Découvrir de nouvelles données

En complément des documents marégraphiques conservées au Shom, l’apport des Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques (AD64) s’est avéré primordiale dans la réalisation de ce travail. En effet, les AD64 ont accueilli en 2012, dans leur site de Bayonne, un versement des archives techniques conservées par la Direction Départementale des Territoires et de la Mer des Pyrénées-Atlantiques (DDTM64) et produites durant la 2ème moitié du XXème siècle. L’inventaire complet des documents et leur classement par les Archives (de 2003 W 1 à 287 et 2004 W 1 à 36) a permis d’identifier un ensemble cohérent de documents permettant la réalisation de la reconstruction des hauteurs d’eau historiques de Socoa.

Une grande partie des mesures de hauteurs d’eau conservées aux AD64 sont sous la forme de marégrammes (Fig. 1), enregistrés entre novembre 1950 et mai 2001. Un marégramme est un graphique contenant une ou plusieurs courbes de marée présentant les variations du niveau de la mer en fonction du temps.

Marégramme du 3 au 10 septembre 1985 de Socoa (2003W35)

Contextualiser les données déjà conservées

L’apport des AD64 ne se limite pas à la mise à disposition de mesures mais porte aussi sur les métadonnées liées. On appelle métadonnées tous documents liés aux mesures de hauteurs d’eau ou à l’observatoire de marée. Il peut s’agir de lettres de communication, de dessins ou de plans, de bordereaux d’envoi, de rapports, etc. Toutes ces données permettent de contextualiser la mesure et donc de s’informer sur l’appareil utilisé et son évolution dans le temps, la référence verticale considérée (zéro hydrographique ou autre), le système temporel (temps solaire vrai, temps solaire moyen, heure locale), etc.

Par exemple, plusieurs documents se trouvant aux AD64 de Pau (cote : 4S 33) donnent un descriptif de l’installation du marégraphe en 1875 ainsi que des grands travaux faits en 1883-1884. Ces informations permettent de mieux comprendre les données dont disposait déjà le Shom.

Aux sources de l'information : historique de l’observatoire marégraphique de Socoa

Pour les besoins de la Marine, l’installation d’un observatoire du niveau de la mer, à Saint-Jean-de-Luz, est acté au début des années 1870. Les plans du bâtiment et du puits sont dressés par le Service de Ponts et Chaussées en 1873 (source : AD64 ; 4S 33 ; Fig. 2). Les travaux débutent dans la foulée à l’extrémité de la digue de Socoa et finissent en 1875. C’est l’emplacement qui donnera par la suite la désignation de « Socoa (Saint-Jean-de-Luz) » à cet observatoire marégraphique.

Les dessins de la construction d'un marégraphe à l'extrémité de la digue de Socoa, à Saint-Jean-de-Luz (28 août 1873, 4S33)
Dessin du premier marégraphe de Socoa de type Chazallon (4S33)

Le premier marégraphe historique de Socoa était un marégraphe à flotteur, de type Chazallon du nom de l’Ingénieur hydrographe inventeur de cet instrument en France (Fig. 3). Il était opéré par le Service Hydrographique de la Marine, ancêtre du Shom, entre 1875 et 1920. Les enregistrements ont cessé fin 1920, le ministre de la Marine de ayant annoncé le démantèlement du marégraphe de Socoa au 1er janvier 1921 (Cote 4S 333, Liasse 3 ; AD64).

Le fonctionnement du marégraphe

Le flotteur du marégraphe oscille sur la surface de l’eau dans un puits de tranquillisation de 80 cm de diamètre. Le flotteur est également connecté à un enregistreur par l’intermédiaire d’un jeu de fils, poulies et contrepoids. Les fluctuations du niveau de la mer sont retranscrites par un stylet sur une feuille, ou marégramme, enroulée sur un tambour dont la rotation est réglée par une horloge (1 tour du tambour = 24 heures). Le puits communique avec la mer via des trous de sonde, percés dans un rocher fendillé (source : Service Historique de la Défense Vincennes – DD2-2053). Malheureusement, ce système de communication était très sensible à l’envasement qui pouvait impacter la mesure des basses mers. Pour résoudre ce problème, il a été décidé d’améliorer la communication du puits de tranquillisation à la mer par la construction d’un aqueduc, un canal de communication situé dans la digue (Fig. 4A) en remplacement du rocher « troué ». Ces travaux durent presque un an et sont réalisés du 25 juillet 1883 au 26 mai 1884 (Fig. 4B et 4C).

Les travaux d’amélioration du marégraphe de Socoa. A) Plan exécuté pour le projet de construction d’un aqueduc pour faciliter la communication du puits avec la mer sans avoir d’obstructions par les dépôts de sable et de gravier. Ce dessin montre une coupe longitudinale le long de la digue et montre une coupe du local, du puits et de l’aqueduc proposé (haut) ainsi qu’une vue de dessus du puits et de l’aqueduc (bas). Source : AD64 - 4S 33 (Pau) ; B et C) Des notes des observateurs du marégraphe concernant le début (B ; 25 juillet 1883) et la fin (C ; 26 mai 1884) des travaux (Archives Shom).

Après la seconde guerre mondiale, le Service Maritime des Ponts et Chaussées réarme l’observatoire marégraphique de Socoa en déployant un marégraphe mécanique à flotteur (type Brillé). Le flotteur du nouvel appareil mesure à son tour, à chaque instant, le niveau de la mer dans le puits de tranquillisation construit ¾ de siècle avant. Cet appareil fonctionnera jusqu’en 2004, date de la modernisation de l’observatoire avec l’installation d’un marégraphe côtier numérique (MCN) radar dans le cadre d’une collaboration entre le Shom et le Conseil Départemental des Pyrénées-Atlantiques. L’observatoire marégraphique de Socoa appartient depuis au Réseau d’Observation du Niveau de la Mer (RONIM) géré par le Shom.

Répondant à de nombreux enjeux sociétaux (études liées au changement climatique avec la hausse du niveau de la mer, appui aux systèmes d’alerte aux ondes de tempêtes (vigilance météorologique Vagues-Submersion) ou aux tsunamis, etc.), les mesures de hauteurs d’eau sont consultables en temps réel : data.shom.fr/donnees/refmar/SAINT-JEAN-DE-LUZ_SOCOA.

Analyser les sources : l’exploitation des marégrammes

Numérisation des documents

La DDTM64, propriétaire des documents concernés, a accepté la numérisation des documents par le Shom. L’accord a déclenché un important travail de préparation exécuté par l’AD64 consistant notamment au contrôle de chaque document et à la remise en état des documents les plus fragilisés par les outrages du temps. Les 2477 marégrammes ont été numérisés afin d’en extraire les mesures du niveau de la mer enregistrés dessus. Ces marégrammes au format 73 x 52 cm (entre A2 et A1) étaient souvent accompagnés d’une feuille de contrôle (format A4). Les feuilles de contrôle, pouvant être une source d’information importante sur l’absence ou des anomalies de mesures, ont également fait l’objet d’une copie numérique.

La numérisation – le processus d‘extraction des mesures de hauteur d’eau du format papier au format numérique – s’effectue à l’aide du logiciel NUNIEAU2 (développé par le Cerema, https://www.cerema.fr/fr/actualites/logiciel-numerisation-enregistrements-graphiques-niveaux-eau site consulté le 24/01/2022,). Il permet d’extraire les hauteurs d’eau de manière semi-automatique. Chaque marégramme est calé temporellement et verticalement, puis le signal de marée est extrait en pointant la courbe de marée à numériser.

Après la numérisation, les données inédites sont contrôlées, corrigées si possible, et validées afin d’obtenir une série temporelle de hauteurs d’eau fiable. Au total, l’exploitation des différentes sources archivistiques a permis d’accroitre la série numérique des mesures de hauteur d’eau de Socoa (depuis 2004) de plus de 100 ans de mesures (entre 1875 et 2001). Sur presque 150 ans d’observation du niveau de la mer à Socoa, l’apport des AD64 s’avère remarquable (Fig. 5 – courbe en rouge).

Une représentation de la série marégraphique (historique) de Socoa. Ces hauteurs d’eau sont toutes en format numériques, numérisées à partir des marégrammes papiers (1875-1920 ; 1942-1944 ; 1950-2001). Bleu : données numérisées appartenant aux Archives du Shom, rouge : données numérisées appartenant aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques.

Cette série reconstruite va désormais être exploitée dans le cadre d’études en lien avec le changement climatique et dans un premier temps pour le projet EZPONDA.
Le travail réalisé pour Socoa est naturellement reproductible pour d’autres sites. Tant les collections conservées en son sein sont remarquables, les AD64 restent un partenaire incontournable pour tout autre reconstruction de série marégraphiques s’intéressant aux ports situés au Sud du littoral de la Nouvelle Aquitaine.

Références

Communauté d’Agglomération du Pays Basque. (2019). Littoral – Mis en oeuvre de la stratégie de gestion des risques littoraux de la Communauté d’Agglomération Pays Basque. Projet partenarial de recherche EZPONDA. Accord consortium signé. OJ N°63, 68 p.
Ferret, Y. (2016). Reconstruction de la série marégraphique de Saint-Nazaire (No. 27 SHOM/DOPS/HOM/MAC/NP). 122 p.
Pouvreau, N. (2008). Trois cents ans de mesures marégraphiques en France : outils, méthodes et tendances des composantes du niveau de la mer au port de Brest (PhD thesis). Université de La Rochelle.

Contemporanéité des archives

Les données conservées, quel que soit leur âge, peuvent intéresser entreprises ou administrations dans leurs activités quotidiennes et dans des préoccupations contemporaines. Les questions écologiques sont les premières concernées. Outre l’étude des niveaux de la mer ou de l’évolution des traits de côté comme l’a fait le Shom, il est par exemple possible d’étudier le passé industriel d’un site et ses pollutions grâce aux documents d’archives. Les Archives départementales conservent notamment les dossiers des établissements classés insalubres, incommodes ou dangereux. Les autorisations d’installation indiquaient, dès 1917, les risques environnementaux propres à chaque entreprise. Ses archives sont consultables aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (site de Pau) sous les cotes 5 M 33-100 pour la période antérieure à 1940 (consulter l’instrument de recherche en ligne). Il ne s’agit pas d’un exemple unique : évolution du climat, photographies des paysages, témoignages d’aléas et catastrophes naturelles… les sources archivistiques abondent pour comprendre les questions de nos sociétés contemporaines et futures.

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