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En 2021-2022, les lecteurs s'emparent des "Documents du mois". Douze d'entre eux ont composé le comité de rédaction du site internet des Archives départementales. Ils ont rédigé les rubriques publiées mensuellement pour vous faire partager leurs recherches, leurs découvertes et leurs émotions. Découvrez chaque mois un nouveau rédacteur et son texte.
Philippe Chareyre est professeur en histoire moderne à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il est notamment le responsable scientifique du programme de l'Agence nationale de la recherche AcRoNavarre, projet de recensement et d'analyse des actes royaux de Navarre à la Renaissance. Il montre ici comment l'analyse d'un acte peut enrichir la compréhension de l'histoire locale et nationale.
La plupart des ordonnances des souverains béarnais contenues dans les registres du conseil souverain ont disparu dans l’incendie des archives du parlement de Navarre en 1737. Un certain nombre est toutefois parvenu jusqu’à nous grâce aux registres des « Établissements » des États de Béarn, conservés aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques.
Le texte désigné sous le nom de Patente sur la liberté de conscience qui fait suite aux doléances des États réunis en janvier et février 1564 se trouve dans registre des « Etablissements » coté C 684 (f°177-179), ce qui lui vaut d’être rédigé dans la langue du pays.
Consultez le site du programme AcRoNavarre (site consulté le 21/05/2024).
Consultez la présentation complète de cet acte et les autres billets de présentation (site consulté le 21/05/2024).
Une lettre patente est un acte à portée règlementaire émis par un souverain sous forme de lettre ouverte, d’où son nom, scellée du grand sceau et contresignée par un secrétaire d'État, qui accorde une faveur. Pour être applicable elle doit, selon la tradition béarnaise, être enregistrée par l’assemblée des États.
Toutefois cet acte de majesté a été émis en réponse aux doléances de ces mêmes États qui mettaient en préalable à toute délibération, la prise en compte de leurs demandes en matière de religion. C’est pour cette raison qu’il est intitulé « Patente autreyade aus Estatz per la regine suus la religion et libertat de conscience ».
En effet, l’année précédente, la reine Jeanne avait confié au pasteur Jean Reymond-Merlin, envoyé de Genève par Calvin, l’édification d’une Église protestante dans sa souveraineté de Béarn. Les églises devaient accueillir les deux cultes (simultaneum) et certaines même, dont la cathédrale de Lescar et Saint-Martin de Pau, avaient été affectées uniquement au culte réformé, après les avoir fait vider de leurs ornements. Jeanne d’Albret n’avait pas seulement inquiété l’assemblée des États de Béarn, elle s’était également attirée les foudres du pape, et avait été le 28 septembre 1563, citée à comparaître en personne à Rome devant le tribunal de l’inquisition sous peine de confiscation de ses possesions.
Ce changement bien encadré par la loi n’avait pas entraîné de conflit armé ou de guerre civile (la seule guerre de religion que connut le Béarn se déroula d’avril à août 1569), contrairement à la France qui avait été divisée par la première guerre de religion à laquelle mirent fin les édits de Saint-Germain du 17 janvier 1562, et d’Amboise du 19 mars 1563. Si les rois de France subissent les conflits religieux et cherchent à maintenir leur pouvoir en temporisant entre les deux partis, en Béarn, Jeanne d’Albret tient tête aux États, et prend l’initiative d’un changement confessionnel.
La patente commence donc ainsi :
« Que les choses de la religion demeurent en l’état où elles se trouvent à présent ».
La reine se plaçant en position d’arbitre, entérine le statu quo et refuse la restitution des églises catholiques nouvellement affectées au culte protestant. Si l’on retrouve les termes de « concorde, union et amitié », complétés par les interdictions de « s’injurier ou provoquer par calomnie et médisance » et de « liberté de conscience » employés dans les édits français, cet acte émanant du pouvoir souverain béarnais n’est pas une « paix », fruit de transaction, mais un acte de la volonté, certes un peu contrainte de la reine qui légifère de manière originale sur la coexistence de deux cultes et de deux Églises au sein d’un même État.
Cette période de relative liberté de conscience et de culte prendra fin en 1567-1569, lorsque la reine Jeanne exprimera ouvertement son souhait de favoriser l’église protestante affichant ses propres convictions de princesse chrétienne, responsable du salut de ses sujets. Ce temps de tolérance n’a eu donc pour effet que de consolider une nouvelle Église pour pouvoir ensuite faire progressivement disparaître l’ancienne.