Pont de fer

2021

Le décès du résistant Roger Schaeffer

En 2021, les lecteurs s'emparent des "Documents du mois".  Douze d'entre eux ont composé le comité de rédaction du site internet des Archives départementales. Ils ont rédigé les rubriques publiées mensuellement pour vous faire partager leurs recherches, leurs découvertes et leurs émotions. Découvrez chaque mois un nouveau rédacteur et son texte.

Luc Corlouër est féru d'histoire. Passionné par sa région, la Bretagne, ses rencontres l'ont amené à effectuer des recherches au Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque en 2019. Il témoigne de l'intérêt des archives dans la reconstitution de parcours individuel comme collectif, de leur dimension mémorielle et historique.

Début de l'enquête

Le café de la Place de Tréguier est un lieu chaleureux où j’aime bien m’installer pour écrire et laisser vagabonder mon esprit. Je détaille une nouvelle fois la photographie. C’est une vue en noir et blanc qui doit dater de la fin des années 30. Le jeune homme a une vingtaine d’années, cheveux bruns, un visage régulier, la coiffure nous situe bien dans l’époque. Une écharpe de laine ceint son cou, sur une veste à poches foncée.
Je vois une ombre devant ma table : « Bonjour, je suis Monsieur H. de Lannion ».

M. H. m’a contacté il y a quelques mois, il est le neveu de l’homme de la photo. Par le biais d’un de mes amis de l’Association de Bretagne 14-18, il m’a envoyé un courriel : « Monsieur, je suis le neveu de Roger Schaeffer, je vous envoie sa photo, je ne sais rien de lui, mais il est « Mort pour la France » à Bayonne en 1944, il serait tombé dans l’Adour. Connaissant votre passion pour l’histoire, pour la Bretagne ainsi que votre participation à l’Association Bretagne 14-18 , je me permets donc de vous interroger, pouvez-vous m’aider ? »

Photographie de Roger Schaeffer (photographie familiale)

Nous échangeons avec M. H. mais il ne sait rien de plus, si ce n’est que son oncle vivait en région parisienne. Je prends quelques notes et lui promets que je ferai de mon mieux pour tenter de résoudre l’énigme.

J’habite à quelques kilomètres de Bayonne et il m’est facile d’aller consulter le Monument aux Morts de la ville. Roger Schaeffer y figure bien.

Monument aux morts de Bayonne (Photographie L. Corlouër)

Je demande son acte de décès à la mairie de Bayonne. C’est le vice-président de la délégation municipale, Edouard Jauréguiberry, qui avait rédigé l’acte. L’acte ne contient pas de renseignements probants si ce n’est que Roger Schaeffer est bien reconnu « Mort pour la France » par jugement du tribunal de première instance de Bayonne le 18 décembre 1944.
Mais on n’est pas reconnu comme tel si l’on est tombé accidentellement dans l’Adour. Il s’était passé autre chose, il me fallait consulter le dossier du tribunal aux Archives de Bayonne.

Consultation des archives

Je laisse passer plusieurs mois en échafaudant des hypothèses, pris par le quotidien et bien d’autres occupations. Enfin, en ce printemps 2019, j’arrive dans les installations modernes et fonctionnelles des archives jouxtant l'avenue Duvergier de Hauranne. L’inscription est rapide, les conseils avisés, c’est la cote 1027 W 53 qui devrait me livrer les informations, car entre temps mon correspondant breton m’a relancé.

En salle de lecture, un dossier d’une vingtaine de feuillets m’est déposé. Comme souvent dans mes recherches, j’apprécie ce moment où je sais que les archives vont me révéler la teneur de l’énigme. Qui était Roger Schaeffer, ce parisien venu mourir à Bayonne ?

Classement d'archives

L. Corlouër témoigne de sa consultation d’une cote et de ses découvertes progressives. Il nous fait découvrir une à une les pièces qui la composent. Dans un dossier, ou une liasse, les archivistes ont classé les pièces afin de respecter l’ordre des documents lors de leur création, leur classement initial. Si les documents sont le plus souvent par ordre chronologique, il est possible que l’ordre diffère lorsque vous consultez une liasse. Ceci peut être normal. Dans un dossier judiciaire, les pièces ont un ordre spécifique et sont souvent numérotées en conséquence. C’est pourquoi il est essentiel de respecter l’ordre des pièces lors de votre consultation. Ne reclassez jamais vous-mêmes une liasse. Avertissez l’archiviste en salle de lecture si l’ordre initial vous semble perturbé. Lui seul pourra estimer s’il s’agit d’une liasse déclassée. Prenez garde à ne pas rassembler par tas les documents lors de votre consultation car il pourrait vous être très difficile ensuite de garder vos repères et de remettre plusieurs dizaines de feuilles dans leur ordre initial.

Le premier document me confirme que Roger est né en 1923 dans le 12e arrondissement de Paris et qu’il habite en 1944 à Bonnières-sur-Seine. Il a donc 21 ans à son décès.
Vient ensuite une lettre du Procureur de la République de Bayonne qui constate que suivant une dépêche du commandant Passicot, chef des FFI de Bayonne, le soldat Schaeffer s’est tué accidentellement en service commandé.

Ordonnance du procureur sur le décès de R. Schaeffer (1027 W 53)

Le procureur conclut que le décès devra être retranscrit sur les registres de la ville de Bayonne. Suit un extrait du jugement du 18 décembre 1944 qui ordonne également la transcription du jugement sur les registres.

Le parquet de Bayonne, la préfecture de la Seine contribuent à l’enquête et expédient eux-aussi des extraits et documents. Et l’on comprend pourquoi la famille a été informée partiellement et tardivement du drame. Le commandant Passicot précédemment cité, écrit au procureur le 27 octobre 1944 précisant que l’unité à laquelle appartenait Roger Schaeffer n’a pas établi les constatations d’usage et que par conséquent son décès n’a pas été déclaré !

Pourtant la Société des Pompes Funèbres Générales de Bayonne a bien procédé à la rédaction d’un Bulletin de décès que l’on retrouve dans le dossier 1027 W 53, le médecin capitaine Landrieu délivre le permis d’inhumer.
Une ligne attire notre attention : « décédé sur le pont de fer, accident de service ». Les informations peu à peu se complètent.
Enfin, un rapport figure dans le dossier avec en-tête de la Compagnie de Chiberta qui détaille les éléments concernant la mort de Roger Schaeffer :

« Le 20 Octobre 1944 à 7 h 30 du matin, les F.F.I. Schaeffer Roger et Pitois Robert se trouvaient de garde au lieu-dit Pont de Fer sur la route de Toulouse à Bayonne Saint-Esprit. Un coup de feu étant parti, le F.F.I. Pitois qui se trouvait à 5 mètres de son camarade Schaeffer se retourna et aperçut celui-ci qui s’affaissait, il se précipita pour le relever. A ce moment, arriva une voiture conduite par un capitaine et se dirigeant vers Bayonne. Arrêtant le véhicule le F.F.I. Pitois demanda à son conducteur accompagné d'ailleurs par une dame, de transporter le blessé dans une clinique ; l'officier refusa n'ayant parait-il pas le temps et déclara pouvoir seulement avertir une ambulance. Cette dernière n'arriva qu’une demie—heure après, le F.F.I. Schaeffer mourut pendant son transport à l'hôpital. »

Le FFI avait-il été abattu par les Allemands se trouvant de l’autre côté de l’Adour ? Le rapport se termine par ces précisions :

« Il est à noter que le F.F.I. Pitois oublia dans son émotion de relever le numéro de la voiture conduite par le capitaine. La blessure mortelle du F.F.I. Schaeffer semble avoir été causée par son fusil chargé qu'il devait tenir par le canon. Ce fusil était en effet armé, et la douille de la balle a été retrouvée. »
Le décès a été constaté par le Docteur Dulout de Biarritz et le médecin capitaine Landrieu. Plus de trace du capitaine si peu coopératif, l’affaire fut classée. Le soldat Schaeffer, en opération, même si sa mort est accidentelle, a été reconnu « Mort pour la France ».

Rattaché au groupement Passicot, on sait que quelques mois plus tôt, Roger Schaeffer avait participé à de violents combats. La libération de Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Socoa et Hendaye, le 21 août 1944, avait permis au bataillon F.F.I. Passicot de capturer 168 soldats allemands.
Mais pour Roger l’aventure s’arrêtait au pont de Fer.

Les archives ont conservé son histoire, sa mort n’est plus une énigme ; à nous le souvenir à eux l’immortalité.

Roger Schaeffer à Bayonne (fonds familial)

La mention "Mort pour la France"

La mention « Mort pour la France » est créée par la loi du 2 juillet 1915, modifiée par la loi du 28 février 1922. Cette qualité peut être attribuée aux civils ou soldats victimes de la guerre dont la cause de la mort est directement liée à la guerre, même si le décès n’a pas lieu au champ de bataille. Cette mention est ajoutée à l’acte de décès après décision des autorités judiciaires validant la demande d’attribution effectuée par les autorités civiles, militaires ou par la famille du défunt. Les Morts pour la France pouvaient ensuite être inscrits sur les monuments aux morts des communes ou dans les livres d’or. Dans les archives, on peut donc en trouver trace dans l’état civil, dans les archives communales, mais aussi dans les archives judiciaires ou dans le fonds de l’Office national des Anciens combattants et victimes de Guerre (ONACVG).

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