Nora-Jean

Portrait

« Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux. » Marcel Proust

Marie-Claude Séthi, née Tiphaine

Née en 1929 à Biarrtiz, Marie-Claude a vécu une partie de son enfance sur la côte basque. Fille de Jean Tiphaine et de Nora Campagne, elle vit ses premières années dans l’immeuble Boulant, près de l’Hôtel d’Angleterre.

Après quelques voyages et une vie de travail, elle est de retour dans sa région natale. Ses dessins ont été exposés à Anglet en 2010 dans la villa Beatrix Enea, l’ancienne villa de ses grands-parents.

Les familles Campagne, Tiphaine, Peyta et alliées ont fondé, possédé et dirigé de grands et moyens hôtels à Biarritz, Pau et sur la côte basque du milieu du XIX ème siècle aux années 1940.

Le fonds d’archives


Marie-Claude Séthi a donné aux Archives plusieurs albums photographiques. Ils sont des témoignages d’un pan de la société biarrote pour cette même période.

Comment sont nés les albums que vous avez donnés aux Archives ?


Du farfouillis ! Dans les familles en France au moment des héritages, les garçons recevaient l’argent, les filles les bijoux, et restait un petit fourbi, ce dont personne ne veut, mais qu’on ne parvient pas à jeter : boîtes à chaussures pleines de photographies anciennes, fonds de tiroirs tapissés de lettres oubliées, reliures évidées pour abriter des papiers égarés. Je me suis emparée de ces biens. Au fil du temps, j’ai accumulé les boîtes de chaussures.



Quand ces petites boîtes sont-elles devenues des albums de famille ?


Quand j’ai un peu vieilli, et perdu mes illusions. Je triais tous ces petits papiers, une fois la nuit venue. Je les ai rassemblés et classés par familles. Ces albums contiennent tous les documents que je conserve sur l’histoire de ma famille : quelques lettres, des coupures de presse, des dessins, des photographies.


Les photographies justement ont une place particulière dans ces albums.


J’ai toujours été éblouie par les images et attirée par les visages. Assez logiquement, j’ai eu dès mon jeune âge un penchant pour la photographie et le portrait. Enfant déjà, je demandais à regarder les photographies de famille. Je me souviens encore d’elles, du profil de ma grand-mère à l’âge de seize ans, reflété dans la glace, du regard triste de ma mère, d’enfants, en costumés en héros des contes de Perrault, ou de la bonté rustique de Justine, notre gouvernante, ma troisième grand-mère, le menton caché dans un « renard », au petit salon, avant de rejoindre sa famille à Itxassou pour quelques jours de vacances. Elle me rendait si fière. Le tiroir de l’office où cette photographie était rangée avait pour moi le charme d’un territoire sacré, exotique et familier à la fois.



Vous avez pris soin d’annoter chacune de ces photographies, pour qu’aucune ne reste muette aux yeux étrangers.


C’est vrai. Je ne sais pas pourquoi. Même si ma démarche était personnelle, elle était motivée par l’histoire de ma famille et sa légère empreinte sur la vie locale. Dans l’histoire du département, certains de mes aïeuls se sont crus importants. Dans leurs hôtels, ils ont hébergé des grands noms de leur temps : souverains, artistes, têtes politiques ou demi-mondaines, ignorant ainsi plus ou moins volontairement leur accession temporaire à la petite aristocratie du pot de chambre et du rond de jambe. Ils ont employé de nombreuses personnes originaires de Biarritz ou d’Anglet. D’une certaine manière, j’ai raconté la vie de ces petits qui pendant trois générations se sont crus grands, et d’une certaine manière l’ont peut-être été. Je voulais transmettre cette histoire, même si je ne savais pas précisément à qui je destinais les notes éparses que j’écrivais. C’était peut-être une entreprise prétentieuse ! Sans doute que quelque chose en moi a voulu rester avant de disparaître dans l’éternité immobile des durées qui se trémoussent en rond et sur place.


Vous parlez d’un récit construit pour évoquer l’histoire de votre famille telle qu’elle est présentée à travers votre fonds d’archives.


Bien sûr ! Bien que je n’aie écarté aucune photographie pour constituer ces albums, je sais que je n’ai montré qu’une partie de l’histoire. Tout ce qui est écrit est vrai, même ce que j’ai imaginé ! Et en même temps, tout est faux. Même le soleil ne voit jamais qu’une face de la terre.


Quand avez-vous envisagé de donner vos documents aux Archives ?


Dans les années 2000, j’ai été en contact avec l’archiviste de Biarritz, Monique Beaufils, qui m’a souligné l’intérêt historique des documents que j’avais religieusement rassemblés. Elle confirmait ainsi l’attention que je leur avais portés. Plus tard, quand un déménagement et ses impératifs matériels l’ont imposé, j’ai fait don de ces albums aux Archives.



Près de dix ans après, que ressentez-vous à l’idée que vos documents soient conservés aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques ?


Un peu de tristesse. Je me souviens de chacun de ces albums. Parfois ils me manquent. Chaque cliché est le support d’un souvenir, chaque portrait porte jusqu’à moi une part de ce que ces êtres ont été. Mais je ressens aussi de la satisfaction, car cela fait plaisir à d’autres ou les amuse un instant. Je crois encore que ces albums pourront être utiles à qui veut comprendre ce qu’a été la vie à Biarritz et Anglet au début du XXème siècle, que quelques férus d’histoire y trouveront le bonheur, au moins pour quelque temps, jusqu’à ce que de nouvelles ères glacières et leurs permafrosts ne recouvrent Biarritz, et ne fassent de nous tous des figures étrangères et sans plus aucun intérêt.



Gageons qu’alors, il restera un service d’archives pour conserver les albums photographiques des familles Campagne, Tiphaine, Peyta et alliées, dernier moaï de Biarritz….

Entretien réalisé avec Madame Séthi le 25 juillet 2016, à Biarritz

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